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Jeux d’influence

Je ne suis pas fondamentalement contre lorsque l’on photographie à tout va. Après tout, l’humain a besoin de souvenirs.

Les vacances sont l’occasion rêvée pour découverte de lieux magnifiques, le charme d’autres cultures, les bases émotionnelles là où le pied s’est posé. Le point limite cependant, c’est lorsque chacun y va de sa photo pour la partager. Pas pour ses proches ou ses amis, mais de façon globale, qui frise le débordement. Que l’on se connaisse ou pas, on y va joyeusement et on balance tout son lot de clichés. De la fourmi se délectant d’un sandwich à moitié entamé à ces expériences quasi mystiques sur des sites d’exceptions. De dos, de face, de profil, habillé, nu (j’exagère … vraiment?), en poirier, à deux, à quinze, pourvu que sa tête ou le reste cache ce qui est situé derrière. Mais ce qui fait légèrement froid dans le dos, c’est le risque inconsidéré pour obtenir la meilleure photo. Celle située au bord d’une falaise, situation idéale pour un selfie. Combien de personnes ont-elles accidentellement chutées pour obtenir le meilleur angle? Quelle idée les a poussée à faire le pas de trop? Quels sont les facteurs qui déclenchent ce manque de conscience?

La convoitise, dirait Hannibal Lecter. Plutôt l’influence, qui modifie de facto nos comportements. Il n’y a qu’à se jeter dans les réseaux sociaux pour comprendre cette mécanique insidieuse qui pousse l’ensemble à agir de façon inconsidérée. Matraquage publicitaire, vision paradisiaque (en plongée, en ballon ou par hélicoptère), paysages à couper le souffle (si l’on ajoute le mannequin, c’est mieux), 4×4 flambant neuf sur un territoire vierge (généralement situé dans un domaine privé), influenceurs-ceuses qui proposent le meilleur spot, appuyé, pour les plus connus, par les offices de tourisme ou le Palace du coin. Le résultat sera toujours le même, l’excès.

Tourisme, monétisation du rêve et conséquence.

La manne économique que représente le tourisme bien qu’indéniable et souhaitée masque la partie émergée de l’iceberg, autrement dit les conséquences à long terme sur notre belle planète. J’éviterais le débat sur nos cités, le sujet est tout aussi vaste. Prenez comme exemple l’Islande tant admirée pour ses paysages et multipliez le nombre de visiteurs par mille, que dis-je, par million. Les statistiques montrent que le nombre de touristes est passé de 672’000 en 2012 à 1’800’000 en 2016. Plus d’un million de pieds, et ce, de manière répétée par année. On va pour l’instant laisser de côté les véhicules. Résultat des courses, un terrain dévasté et j’en parle par expérience.

Il m’arrive de retourner quand je le peux sur certaines destinations et constate avec effroi les modifications sur certains sites qui, il n’y a pas si longtemps, étaient accessibles et en parfait état. Et, par effet de conséquence, les moyens gouvernementaux pour freiner l’importance des dégâts. Car malheureusement, dégâts il y a.

De ces chemins qui autrefois laissaient libre cours à la rêverie ou à la pause photographique, l’accès devient de plus en plus régulé ou carrément bloqué. Je peux le comprendre. Il faut du temps pour que la nature reprenne ses droits. Me voilà donc parqué dans un enclos avec une centaine de mes congénères à tenter d’admirer un morceau de … quelque chose, si le type devant vous voulait bien se bouger. Ou un lieu majestueux qui se voit attribuer un guichet. Faites la queue et prenez votre ticket! De ceci, les brochures sur papier glacé dont regorgent les agences de voyage n’en parlent pas, sauf pour prendre votre ticket, et bien évidemment surtaxé.

Merci les réseaux, merci d’avoir balancé les coordonnées GPS à tout va, merci d’avoir bien travaillé vos clichés avec des ciels bleus saturés et des couleurs accrocheuses.

Il y a un article très intéressant que je vous conseille, publié le 7 juillet 2019 sur LE MONDE.fr « Instagram : Un bouc émissaire du tourisme de masse? » par Damien Le loup et Morgane Tual. Le quotidien Britannique The Independent avait déjà traité de cette problématique dans « 10 Tourist destinations ruines by Instagram » d’Helen Coffey, publié le 16 juin 2017.

Il est peut être temps de couper court à cette influence venus de nos chers GAFA, et ce ne sont pas les seuls d’ailleurs. Il est peut être temps de redécouvrir pour quelques instants ces paysages où qu’ils soient. Nous n’arrêteront malheureusement pas le nombre de post, tweet, like et d’épingle que regorgent nos vies numériques mais nous pouvons assurément découvrir un lieu avec un regard neuf. Il suffit pour cela d’arrêter de parcourir un écran, rien qu’un peu. Chercher le cliché parfait ne signifie pas de poser son trépied exactement sur les traces d’un autre mais peut être d’aller chercher plus loin dans la mesure du possible. Et si vous êtes un « aficionado » qui ne peut s’empêcher de pointer son parcours, faites juste un effort en gardant votre géolocalisation pour vous et votre tête pour vos proches. Vous inciterez d’autant plus à l’émerveillement et à l’exploration.

Est-il besoin de conseils ?
  • Gardez-vous de vouloir réaliser le cliché d’exception sur des sites naturels protégés. En vous écartant des chemins balisés, vous détruisez consciencieusement ce qui a mis des années à pousser. Vous éviterez également des amendes salées qui risquent de gâcher votre voyage.
  • Sachez qu’il existe des individus qui n’ont jamais pu accéder à ce que vous découvrez et qui sait, s’il leur sera possible dans un avenir proche ou lointain, de pouvoir le faire. Pensez tout simplement à vos enfants … quand ils seront grands.
  • Regardez derrière vous lors de selfies. Et si vous le pouvez, regardez tout simplement devant vous.

Crédit photo et texte : Christophe Moratal / Photophore Studio