Shopping Cart

Aucun produit dans le panier.

Le Musée de l’appareil photographique de Vevey : Interview du directeur Jean-Marc Bonnard Yersin

Pour le photographe que je suis, la ville de Vevey est une étape d’importance car elle s’est forgée, et ce depuis bien longtemps, une réputation dans l’image, que ce soit par son Centre d’enseignement de la photographie (CEPV), ses Festivals dédiés ou dans un lieu très plaisant où mes pas se sont arrêtés : le Musée Suisse de l’appareil photographique. Redécouvrir, en compagnie de Jean-Marc Bonnard Yersin, co-directeur-conservateur du Musée, une des nombreuses parcelles d’un patrimoine humain qui n’est pas si révolu qu’on le pense.

Christophe Moratal : Tout lieu à une histoire, quelle est celle du Musée ?

Jean-Marc Bonnard Yersin : L’idée est née en 1971 quand un enseignant veveysan Claude Henri Fornet organise une exposition qu’il appelle rétrospective de la l’histoire de la photographie oû le plus gros contributeur de cette exposition est en fait Michel Auer, célèbre collectionneur genevois. Le syndic de l’époque trouve l’idée magnifique et lui suggère de créer un musée. Début de aventure qui dure à peu près une décennie, il collecte des objets, organise des expos dans les entres commerciaux pour ouvrir le premier musée publique en 1979 dans un appartement de l’autre côté de la place, ou il va connaître sa première décennie publique avant d’être transféré en 1989 dans le bâtiment actuel à l’arrière du Musée, aux Anciens-Fossés qui est un dédale de petites ruelles. En 1991, avec mon épouse Pascale, l’originalité de la maison étant un « time-sharing » (temps partagé) entre une archéologue conservatrice de Musée et un photographe, avons poursuivi par l’achèvement du projet, qui était de ne pas de laisser un Musée dans un dédale de ruelles mais de retrouver l’entrée sur la Place et donc de l’agrandir avec un bâtiment qui appartenait déjà à la commune. Cette liaison existait déjà par un passage souterrain. L’extension s’est fait en 2000.

CM : Les collections déjà présentes et celles arrivées par la suite ?

JMBY : Elles se sont crées progressivement. Elles sont parties de rien, il y a eu assez rapidement quelques contributions importantes, qui ont assis la réputation du Musée. C’était par exemple, le don de La collection de Kodak Suisse. Kodak Suisse étant une des premières sociétés extra Etats-Unis, peut-être la première en Europe. C’était vraiment une collection intéressante. Le dépôt de la collection de l’ancien institut de photographie de l’Ecole Polytechnique Fédéral de Zurich est elle aussi une collection extraordinaire dont bien quelques pièces majeurs du Musée en proviennent. Quand nous sommes arrivés, nous avions comme premier job de combler les lacunes de cette collection afin qu’elle devienne vraiment une collection de référence. Cela a été l’occasion de racheter, à l’aide de soutien, telle la Loterie Romande, l’Office Fédérale de la Culture dans certains cas, des sponsors, Elinchrom qui nous a souvent aidé par le biais de Malcom Whittle qui est vraiment un mécène du Musée. Cela nous a permis d’acquérir des collections fortes. D’autres travaux de recherches ont permis, pièce par pièce, de trouver des choses assez essentielles. La partie la plus difficile en fait a été au moment de la révolution numérique où l’on était assailli de proposition d’objets que les gens voulaient sauver, et de l’autre coté, tout ce qui était important de garder que tout le monde fichait loin parce que c’était dépassé trop vite. Donc on a fait une sorte de brocante planétaire via e-bay et d’autres sources pour trouver, par exemple, un imageur polaroid palette au Texas (USA), l’unité Polaroid qui se mettait dessus en Australie, un des premiers transmetteurs numériques, le Dixel d’Haselblad on l’a trouvé en Allemagne. Cela a été une période folle. Les marques nous ont pas mal aidé puisqu’ils gardaient du matériel qui avait servis en démonstration.

CM : Les collections s’arrêtent t’elle uniquement au matériel ou l’image est-elle présente également?

JMBY : Je fais souvent une comparaison avec un musée d’instrument de musique. Si on était un musée d’instrument de musique, on organiserait des concerts, on fait des expositions de photographies, Si on était un musée d’instrument, on aurait une collection de concerts, d’instrumentiste, de musiciens, de facteurs d’instruments donc nous avons majoritairement deux types de collections d’images, pour l’une, ce sont des exemples de procédés, et on a des choses exceptionnelles, on a par exemple les seules pleines plaques Daguerriennes de vues de Paris des début de la photographies qui sont dans l’exposition permanente, on a une collection d’autochromes assez extraordinaire. Pour l’autre, on tente de collecter des photographies, des documents, des gravures, des dessins montrant des photographes en activité. Et cela avait déjà été le thème d’une exposition temporaire nommée « Photographes, regards inversés ». C’est un des grands axes de travail. On est les seuls avec cette thématique au milieu de toutes les autres institutions qui s’occupent d’images. Le numérique a provoqué une réaction étonnante. Tous les musées qui s’occupent du patrimoine ont enfin compris que la photographie a permis de tout documenter, tout ce qui nous intéresse, tout ce qui est du patrimoine qui est soit existant ou même disparu. Maintenant il y a du photographique partout, tout le monde s’occupe de photographique, et nous on est les seuls à s’occuper de l’instrument. On a plutôt tendance à jouer la plaque tournante quand on nous aborde pour des fonds qui nous semble digne d’intérêt. On va réfléchir à quel musée, consacré à la photographie ou conservatoire iconographique régional ou bibliothèque ou musée thématique, serait potentiellement le plus intéressé et le plus intéressant pour le futur déposant. On oriente beaucoup. L’idée étant que l’ensemble des musées forme une sorte de grand holding pour le patrimoine et comme il y a trop de travail, mieux vaut ne pas se chamailler pour savoir qui va faire quoi, mais bien répartir le travail.

CM : Une estimation du nombre de musée identique au vôtre, en Europe et dans le monde ?

JMBY : On sait que l’on a des « parents ». Le plus proche c’est le musée Nicéphore Niepce à Chalon-sur-Saône (France), mais qui lui a un musée global. Il a avant tout une orientation à l’image et des collections d’instruments, et là, l’approche est différente de la nôtre. Il ne se considère pas comme un musée d’histoire des techniques, mais plutôt comme un musée du médium, où leur manière de présenter l’instrument est une façon de vouloir expliquer ce qu’est le photographique. C’est particulièrement passionnant et particulièrement bien complémentaire de ce que l’on fait. Il y a un autre parent très spécifique, la maison de Nicéphore Niepce de Saint-Loup-de-Varennes (France) qui est visitable. Ils font un travail remarquable, on est en plein dans l’histoire de Niepce. Il y a également un musée de la photographie dans le Val de Bièvre et puis il y a des collections dans d’autres musées, il y en a une à Munich (Allemagne) dans le musée d’histoire des techniques, la collection Agfa qui est dans le Deutsches Museum sauf erreur mais je crois qu’elle n’est plus exposée en permanence, il y a à Bradford (Angleterre) un Musée du cinéma, de la photographie et de la télévision mais là aussi, ils auraient un peu réduit la voilure pour être plus un Musée sur l’image en général. Il y a avait une magnifique collection au Science Museum à Londres, mais de ce que l’on m’a dit elle ne serait plus exposée maintenant. Il y a également la George Eastman House à Rochester (USA) qui est une magnifique collection d’instrument, aussi des collections qui ont fuis l’Europe au moment de la deuxième guerre mondiale. Quand on a voulu exposer un appareil cinématographique de l’inventeur suisse du cinéma Casimir Sivan, qui, pour l’anecdote, à quelques mois, aurait pu être le premier à la place du cinématographe des Frères Lumières, cet appareil est venu de Rochester en prêt, et on a du le leur rendre parce que l’on ne séquestre pas le patrimoine national comme d’autres, sinon il ne nous l’aurait pas prêté. L’important, c’est que nos visiteurs nous disent trouver chez nous quelque chose qu’ils ne trouvent pas ailleurs.

CM : Parlez-nous de l’intérêt du jeune public par le biais des stages?

JMBY : Notre première opération jeune public concernait des vernissages pour enfants. Le plus fameux cela avait été lors d’une exposition de photographie de Yachting, ou l’on avait les clubs de sauvetage qui nous avait embarqué les enfants avec des appareils recyclables fournis par Kodak, et l’on avait également demandé à des amis navigateurs de sortir leurs bateaux traditionnels et magnifiques de surcroit. La chance a voulu qu’à peine on soit sur l’eau pour que se lèvent de magnifiques airs et qu’avec ces appareils photos recyclables, ils aient réalisés de merveilleux portraits de barreurs que l’on a ensuite fait tirer en mini posters. On a également fait une exposition des travaux de ces jeunes photographes dans le sous sol du Musée. J’en ai d’ailleurs croisé par la suite un qui finissait sa formation de photographe. Quand on a fait l’extension, du musée, on a créé puis pratiqué dans le laboratoire argentique, puis on est passé de la prise de vue en argentique. Avec le numérique, il y a eu des demandes, on s’est donc équipé pour le numérique, et le numérique est devenu tellement simple qu’il n’y avait plus trop besoin d’apprendre donc on a eu une demande différente. Maintenant, on arrive à une autre forme de mutation. On voit plutôt apparaitre des personnes beaucoup plus passionnées, qui ont envies de faire un parcours de plus de 6 semaines. C’est pourquoi dès la rentrée on va avoir un club, ou les participants sur l’année réaliseront, par trimestre, une exploration. Le premier trimestre on va plutôt explorer l’aspect optique, l’aspect de profondeur de champ, de différences d’optiques. Le deuxième trimestre sera plus axé sur les relations de temps, de l’instantanéité ou pas, du flou ou pas, au rythme, à la dynamique, et le troisième trimestre sera orienté sur un travail personnel, avec séances de projections des meilleurs travaux pour décembre et accrochages des meilleurs travaux en juin. Le club de la chambre noire c’est 6 participants maximaux. Comme on va lancer cette nouvelle formule en septembre et si il y a des listes d’attentes, il est possible qu’à la rentrée de janvier, on aura des sortes de petits niveaux qui vont se créer. Je fais la comparaison au judo, vous aurez les débutants, les ceintures jaunes et s’il y a du succès, on peut monter en puissance.

Et pour les plus jeunes, on a la Lanterne Magique. On a une installation interactive avec des tas d’images. On a des images de collections, l’une des meilleures collections Lanterne Magique de Suisse. On va proposer tous les mercredis une animation projection qui sera en fait une séance lanterne magique avec notre médiateur culturel. Il leur montrera une ancienne lanterne de spectacle, lanterne double, des plaques à trucs puis leur montrera comment elle fonctionne et également à l’aide de projection numérique leur fera découvrir tout le charme de cette iconographie, les contes, les légendes, le fantastique. Cela durera à peu près 1 h et demie. L’avantage, c’est que cela permettra aux parents, qui des fois le mercredi se demandent comment ils vont faire pour aller faire une course justement dans la vieille ville où il y a pleins de commerces sympas, de poser les enfants pour un cinéma comme avant le cinéma, et les récupérer à la fin de la séance, cela sera pas la dernière séance !

CM : Combien de personnes composent l’équipe du Musée?

JMBY : Cela fait 5,6 unités plein temps, c’est l’équipage minimum pour faire tourner un bateau de compétition. Tous polyvalent, hyper efficace. Les seuls auxiliaires qui nous aident sont en fait des étudiants des écoles d’art et de photographie voisine qui renforce le dispositif pendant les vacances scolaires et durant les week-ends pour offrir la possibilité aux visiteurs, en plus de la visite du musée, de visiter le laboratoire où ils font eux même leurs photogrammes. C’est très prisé. Des fois, c’est toute la famille qui va faire des photogrammes, des fois les parents qui voient leurs enfants les faire, et il y a surtout ce moment magique ou l’on voit apparaitre la photos dans le révélateur.

CM : Un constat par rapport aux attentes du public?

JMBY : Depuis 15 ans et sous l’impulsion du numérique, les attentes changent très rapidement. Un passage chez nous est une belle manière de commencer à restructurer, à donner un peu de perspective aux choses.

Tenter donc cette petite excursion au pays de la Camera obscura. Faites l’expérience des photogrammes. Décrochez de vos habitudes de « farniente » sous un soleil de plomb, pour parcourir ce qui fut d’abord des lieux plongés dans le noir, pour au final, découvrir comment la lumière fut et est pratiquée dans ce domaine.

Bonne visite photographique!

Musée Suisse de l’appareil photographique VEVEY

Crédit photo et texte : Christophe Moratal / Photophore Studio